Insaisissable insaisissabilité ?

17 octobre 2014

Nul ne peut entreprendre sans risque. Néanmoins, le législateur s’est fixé comme ambition de limiter les risques pour les entrepreneurs individuels. La Cour de cassation vient de prêter la main à ces vues en donnant une dimension redoutablement efficace à la déclaration d’insaisissabilité.

Pour protéger son patrimoine du droit de gage général des créanciers professionnels, l’entrepreneur peut soit créer une personne morale, soit rendre une partie de ses biens insaisissables. Cette seconde possibilité permet, depuis 2003, à tout commerçant, agriculteur ou professionnel indépendant de rendre sa « résidence principale » insaisissable pour ses créanciers professionnels. Cette simple formalité notariale publiée au bureau des hypothèques protège l’entrepreneur de ses créanciers dont les droits naissent après la publication de la déclaration, c’est-à-dire pour les dettes futures.

En 2008, la faculté de créer ce patrimoine d’affectation a été étendue à tout bien foncier extra professionnel de l’entrepreneur.

Le Code de commerce définit ce mécanisme d’insaisissabilité comme une dérogation au principe du droit de gage général du créancier (permettant au créancier de saisir tous les biens du patrimoine de son débiteur pour obtenir le paiement de sa créance).

Cependant, le législateur n’a pas expressément prévu l’articulation entre la déclaration d’insaisissabilité, permettant la protection de l’actif du débiteur, et la procédure de liquidation judiciaire, ayant pour objectif l’apurement du passif pour désintéresser les créanciers.

En effet, l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire, place le débiteur et ses créanciers dans de nouvelles situations. D’une part, le débiteur se voit dessaisi de l’administration et de la disposition de ses biens au profit du liquidateur. D’autre part, les créanciers, à défaut de garantie, se retrouvent égaux devant le gage commun du débiteur. Le liquidateur, en tant que représentant des créanciers, agit dans leur intérêt commun.

Face à cette carence des textes, deux approches existent:

  • La première, favorable aux créanciers, considère que le liquidateur a la possibilité de poursuivre la vente du bien immobilier du débiteur si la déclaration d’insaisissabilité est inopposable à un seul des créanciers. Cette conception ferait tomber le bien immobilier du débiteur dans le domaine du droit de gage général dont disposent les créanciers.
  • La seconde, favorable au débiteur, considère que le liquidateur ne peut poursuivre la réalisation du bien que dans l’hypothèse où la déclaration d’insaisissabilité est inopposable à l’ensemble des créanciers. Cette approche restreint le cadre d’action du liquidateur.

La Cour de cassation a retenu la seconde approche, en consacrant l’efficacité de la déclaration d’insaisissabilité par deux arrêts récents.

Dans un arrêt du 28 juin 2011, elle a considéré que le débiteur pouvait opposer au liquidateur la déclaration d’insaisissabilité publiée avant sa mise en liquidation judiciaire. La Cour suprême écarte donc la position de la Cour d’appel qui avait jugé que la déclaration d’insaisissabilité ne faisait pas obstacle à la règle du dessaisissement.

Dans un arrêt du 13 mars 2012, la Cour de cassation a renforcé son analyse. En l’espèce, le liquidateur judiciaire avait poursuivi la vente du bien immobilier du débiteur. Les juges ont rappelé que le liquidateur ne pouvait agir que dans l’intérêt collectif de tous les créanciers. Par conséquent, la déclaration d’insaisissabilité n’étant pas opposable à tous les créanciers, la Cour de cassation a considéré que liquidateur ne pouvait poursuivre la vente du bien sans favoriser certains créanciers.

En pratique, l’approche de la Cour de cassation laisse penser qu’une déclaration d’insaisissabilité réalisée juste avant l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, si elle n’est pas annulée au titre des nullités de la période suspecte, permettrait au débiteur de protéger son patrimoine immobilier au début d’une phase critique.

Cette déclaration se révèle donc être un outil efficace pour extraire son bien immobilier du droit de gage général des créanciers. Cette situation désavantage les créanciers auxquels la déclaration d’insaisissabilité est inopposable, c’est à dire les plus anciens, qui ont souvent permis au débiteur de tenir dans les périodes difficiles.

Finalement, la possibilité pour le liquidateur de faire vendre un bien est réduite quasiment à néant. La règle, difficile à saisir tant elle est favorable au débiteur, sera probablement amenée à évoluer. Conseil aux débiteurs : profitez-en tant que vous pouvez (en vous méfiant du retour de bâton).