Une rupture de relations commerciales établies : une juridiction étrangère peut être compétente

17 octobre 2014

En matière de rupture de relations commerciales établies et de clause attributive de compétence, peu importe la nature délictuelle ou contractuelle de l’action, seul le caractère large et compréhensif de la clause doit être pris en compte (Cass. com., 20 mars 2012, n° 11-11.570).

Dans le cadre de l’action en rupture abusive de l’article L 442-6 I 5° du Code de commerce, une divergence de Jurisprudence se maintient entre la première chambre civile de la Cour de cassation et la chambre commerciale.

En effet, ces dernières s’opposent sur la nature de cette action. Elle serait pour la première, contractuelle, et pour la seconde, délictuelle.

Au-delà de son aspect théorique, cette divergence influe directement sur le régime de l’action en rupture abusive.

En effet, l’une des différences fondamentales entre ces deux actions touche aux règles d’attribution de compétence des juridictions.

S’agissant d’une action en responsabilité délictuelle, le demandeur peut saisir, à son choix, outre la juridiction du lieu où le défendeur a son domicile, celle du lieu du fait dommageable ou celle du ressort dans lequel le dommage a été subi.

A l’inverse, en cas de responsabilité contractuelle, il conviendra d’appliquer la clause du contrat relative à la compétence juridictionnelle.

Une lecture classique de ces règles de procédure civile a conduit la chambre commerciale à rejeter l’application d’une clause d’attribution de compétence en cas de rupture abusive.

Toutefois, dans un arrêt remarqué, la Haute Juridiction des affaires a retenu la compétence d’une Juridiction étrangère, sans reconnaître la nature contractuelle de l’action, mais en faisant primer la clarté de la clause.

Elle rejette un pourvoi contre une décision d’incompétence des Juges du fond par la motivation suivante :

« l’arrêt relève encore que cette clause, qui attribue compétence aux juridictions allemandes pour tous les litiges découlant des relations contractuelles, est suffisamment large et compréhensive pour s’appliquer à ceux découlant de faits de rupture brutale partielle des relations commerciales établies entre les parties, peu important à cet égard la nature délictuelle ou contractuelle de la responsabilité encourue ».

Cette décision vient donc, en définitive, faire primer le caractère compréhensif de la clause sur la nature de la responsabilité.

Ces clauses se verront donc appliquées si elles couvrent « tout litige découlant des relations contractuelles » ou « tout litige né du contrat » ou encore « tout différend pouvant subvenir entre les parties »

Cette décision présente un intérêt majeur dans le cadre de litiges internationaux.

En effet, peu de législations dans le monde, mais également en Europe, présentent les mêmes garanties de protection des entreprises victimes de rupture brutale de relations commerciales.

L’essentiel du débat sera ainsi vidé de son contenu et l’entreprise française aura toutes les peines du monde à obtenir une indemnisation.

De surcroît, cette dernière devra dans un premier temps vaincre les barrières procédurales liées à l’introduction d’une instance dans un pays étranger, la première étant évidemment la langue.

 

 

 

 

Rupture de relations commerciales etablies : un arret qui detonne

17 octobre 2014

La rupture de relations commerciales établies est entrée en 2001 dans le Code de commerce, à l’article L442-6 I 5°. Elle a été conçue à l’origine comme un instrument de droit de la concurrence, visant plus particulièrement la grande distribution. Depuis, ce mécanisme étend son empire et touche tous les domaines. Un seul lui échappe, la sous-traitance en matière de transport de marchandises, ce qui détonne.

I – Un domaine en extension

Le texte sanctionne le fait de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des usages interprofessionnels.

Depuis 2001, la créature législative a échappé à son créateur. La jurisprudence, comme bien souvent, lui a donné une toute autre ampleur. Elle en a fait une règle de nature délictuelle, qui sanctionne non pas la rupture – qui est libre – mais l’abus dans celle-ci. Toutes les relations économiques privées sont concernées, incluant les professions libérales (non commerciales donc). L’abus réside dans le fait de ne pas laisser au contractant un préavis suffisant pour lui permettre de se réorganiser. L’absence d’écrit fait présumer l’abus. Le préavis ne peut être écarté qu’en cas de force majeure ou de faute grave.

Le texte est d’ordre public. Un contrat ne peut pas y déroger. Le délai prévu par le contrat, ou par les rares accords interprofessionnels, ne lie pas le juge. Il peut décider d’un délai plus important s’il l’estime opportun. Il est souverain pour en fixer la durée. La durée normale du préavis est appréciée en fonction, notamment, de l’importance du chiffre d’affaires réalisé entre les parties, de la durée des relations, du degré de dépendance économique.

L’indemnisation de l’abus correspond à la perte de marge brute sur la durée de préavis qui aurait du être respectée. Peuvent s’y ajouter la perte des investissements spécifiques (par exemple les indemnités de licenciement économiques liées à la perte brutale du marché).

Pour harmoniser la jurisprudence, en 2008, la loi a décidé de confier ce contentieux à uniquement 8 tribunaux de commerce – dans l’ouest, celui de RENNES – et au second degré à la seule cour d’appel de PARIS.

Depuis septembre 2011, la Cour de cassation permet à un tiers, une filiale par exemple, d’invoquer ce mécanisme pour demander l’indemnisation de son préjudice.

Le mouvement jurisprudentiel est donc large, mais il connaît une exception.

II – Une exception qui détonne

En 2008, puis en octobre 2011, la Cour de cassation a considéré que l’article L442-6 I 5° du Code de commerce n’était pas applicable aux relations s’inscrivant dans le cadre d’un contrat type de sous-traitance de transport routier de marchandise. Ce contrat type, prévu par un décret de 2003, prévoit un délai de préavis de trois mois. Dans ce domaine, la Cour de cassation considère donc ce délai comme un plafond.

Dans tous les autres domaines, quels qu’ils soient, y compris les autres domaines du transport (contrat type général, sous température dirigée…), le délai de préavis prévu est un plancher. Le Juge peut le fixer différemment.

Le fait que la Cour de cassation considère que la loi (l’article L 442-6 I 5° du Code de commerce) ne serait pas applicable par suite d’un décret ne manque pas de surprendre, tant la hiérarchie des normes est bouleversée par cette approche. Elle l’est davantage encore lorsque l’on considère que la LOTI (loi d’orientation sur les transports intérieurs), en application de laquelle le décret de 2003 intervient, prévoit que les contrats types sont pris sans préjudice des dispositions applicables en matière contractuelle.

On ne discerne pas davantage la logique économique de cette solution. On parvient en effet à une situation dans laquelle le sous-traitant est moins bien traité que l’ensemble des acteurs de la filière de transport, alors que sa situation est la plus précaire.

On peine donc à comprendre cette exception tant elle détonne dans le paysage dressé par la jurisprudence. Il reste à espérer que cette exception finisse par disparaître, pour retrouver un tableau harmonieux.